Le jeudi 6 novembre 2025 à 17:01
La publication début novembre de vidéos issues des caméras-piétons des gendarmes présents lors de la manifestation du 25 mars 2023 à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) a relancé la polémique sur les méthodes de maintien de l'ordre. Ces images, révélées par Libération et Mediapart, montrent des comportements violents et des propos injurieux tenus par des militaires pendant l'opération, ce qui a amené le ministre de l'Intérieur Laurent Nuñez à annoncer l'ouverture d'une enquête administrative.
Les enregistrements, représentant environ 84 heures d'images, ont été tournés le jour de la manifestation interdite contre le projet de méga-bassines. Selon les chiffres officiels, 3000 gendarmes étaient mobilisés pour encadrer un rassemblement de plusieurs milliers de manifestants. Le dispositif comprenait vingt escadrons de gendarmerie mobile, neuf hélicoptères, quatre canons à eau et quatre véhicules blindés. Au total, la gendarmerie a déclaré avoir tiré 5015 grenades lacrymogènes, 89 grenades de désencerclement, 40 grenades assourdissantes et 81 tirs de lanceurs de balles de défense.
Les vidéos diffusées montrent des fonctionnaires appelant à des tirs tendus, une pratique interdite car dangereuse : "Tendu, tendu, tendu", "vous balancez un tendu s'il le faut", peut-on notamment entendre. Dans d'autres séquences, des militaires profèrent des insultes et se réjouissent des blessures infligées : "C'est des pue la pisse, des résidus de capotes", "je compte plus les mecs qu'on a éborgnés", ou encore "t'en crèves deux-trois, ça calme les autres".
Un dialogue entre deux gendarmes a également été révélé :
– "Y'a un enculé que j'ai eu à la tête mon gars."
– "Ah ouais."
– "Dis pas ça devant la caméra."
D'autres se félicitent des affrontements : "J'ai signé pour ça mec, j'ai attendu dix ans de gendarmerie pour vivre ça".
«Des manquements à la déontologie»
Interrogé sur ces révélations, le ministre de l'Intérieur Laurent Nuñez a estimé sur France Inter qu'il s'agit de "gestes de violences qui pourraient ne pas être proportionnés", tout en ajoutant : "Vous ne m'entendrez jamais reprendre ce terme de violences policières". Le ministre a également précisé qu'"il y a une enquête qui l'établira et il y aura des sanctions".Sur BFMTV, le colonel Erwan Coiffard, porte-parole de la gendarmerie nationale, a reconnu "des manquements à la déontologie".
Après des plaintes déposées par plusieurs blessés, le parquet à compétence militaire de Rennes avait ouvert une enquête, confiée à l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN). Cette procédure est toujours en cours. Mais les plaignants dénoncent une investigation incomplète. "La manière dont cette enquête a été conduite laisse clairement apparaître l'intention de classer sans suite", a déclaré Me Chloé Chalot, avocate des blessés. Selon elle, "les investigations de l'IGGN sont très, très insuffisantes à ce stade". Le collectif de manifestants conteste également la version officielle : "Nous dénonçons un travail lacunaire et partial, donnant la parole quasi exclusivement aux gendarmes et aux services de secours [...] Le point de vue des manifestant.e.s est totalement absent".
Du côté des organisateurs, le porte-parole du collectif Bassines Non Merci, Julien Le Guet, estime à Ici que ces images confirment des pratiques illégales. "Ces images doivent déclencher un mouvement très fort à l'échelle nationale de remise en cause complète des stratégies de maintien de l'ordre", déclare-t-il, appelant à des sanctions exemplaires : "Il faut absolument que les gens qui ont commis ces actes illégaux soient sanctionnés, soient exclus de la gendarmerie nationale."Il dénonce également "des propos racistes", "des gendarmes qui se satisfont des blessures causées" et "des appels au meurtre clairement identifiés". Pour lui, "la lumière enfin va pouvoir être faite", même s'il juge "regrettable que cela sorte seulement maintenant".
45 gendarmes blessés, 200 blessés parmi les manifestants
Parmi les blessés, deux manifestants avaient été grièvement atteints par des tirs tendus de grenades. L'un d'eux, Serge D., est resté plusieurs jours dans le coma et souffre aujourd'hui de séquelles lourdes après une fracture du crâne. En tout, les affrontements avaient fait 45 blessés parmi les gendarmes et environ 200 du côté des manifestants, dont une quarantaine de cas graves.
La Ligue des droits de l'Homme, dans un rapport publié en juillet 2023, a dénoncé "de nombreuses blessures causées aux manifestants par un usage des armes disproportionné et à plusieurs reprises non nécessaire". La France insoumise (LFI) et la Confédération paysanne ont également exigé des suites judiciaires après la diffusion des vidéos. Le collectif Bassines Non Merci réclame, lui, la création d'une commission d'enquête parlementaire.